In honor of the International Day of Francophonie, this dispatch is published first in French. An English translation is available here.
Lisez l’entrevue complète ici.
En l’honneur de la journée internationale de la francophonie, j’ai eu le privilège d’interviewer le professeur François Larocque, professeur titulaire en droit linguistique à la faculté de droit de l’université d’Ottawa dans le programme de common law en français, dans lequel je suis élève de deuxième année. Le professeur Larocque est également titulaire de la Chaire de recherche sur le monde francophone, un poste au sein duquel il effectue de la recherche en droit linguistique.
Comme le savent plusieurs, le Canada a deux langues officielles : le français et l’anglais. Les enjeux liés à l’état de ces langues dans notre ordre constitutionnel, ainsi que dans nos vies de tous les jours, constituent des questions et enjeux importants que considère le domaine du droit linguistique. En effet, le français et l’anglais, quoique censés être égaux, ne le sont pas exactement en pratique.
Pour contextualiser l’ordre constitutionnel canadien en ce qui a trait aux droits linguistiques, le professeur Larocque commence par « mettre la table » en expliquant généralement les droits dont bénéficient les minorités linguistiques du Canada selon notre Constitution. Notamment et entre autres, selon les articles 16 à 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, les canadiens jouissent du droit d’accéder aux services fédéraux, aux institutions fédérales, aux tribunaux fédéraux, et aux tribunaux « régis par l’article 19 de la Charte, ce qui inclue les tribunaux des territoires » dans les deux langues officielles du Canada. La Charte garantit également l’accès à l’éducation dans la langue de la minorité. Ceci veut dire que les membres de la minorité francophone à l’extérieur de la province du Québec et de la minorité anglophone à l’intérieur du Québec ont tous les deux le droit de recevoir leur éducation primaire et secondaire dans leur langue officielle respective.
Comme pour tous les francophones qui habitent à l’extérieur du Québec, ce droit qui m’est très cher m’a été assuré par les générations précédentes de francophones qui se sont battus pour qu’une déclaration expresse de l’égalité du français et de l’anglais au Canada fasse partie intégrale du rapatriement de la Constitution canadienne (processus par lequel le Canada est devenu véritablement autonome en ayant l’habileté de modifier sa propre Constitution sans le Royaume-Uni).
Or, comme le souligne le professeur Larocque, ce rapatriement n’a pas exactement été poursuivi jusqu’au bout. En vertu de l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982—loi qui contient la Charte et qui décrit les procédures de modification constitutionnelle—le Canada avait l’obligation d’adopter tous ses textes constitutionnels en français « dans les meilleurs délais ». Aujourd’hui, 21 des 30 textes constitutionnels du Canada, incluant la Loi constitutionnelle de 1867, demeurent sans traduction francophone officiellement adoptée, ce qui veut dire qu’ils n’ont que force de loi en anglais.
Le fait que le gouvernement a cette obligation depuis 1982 d’agir « dans les meilleurs délais » et ne l’a toujours pas remplie est particulièrement problématique, explique le professeur Larocque. « C’est pas “ceci peut être fait lorsque le ministre voudra bien le faire », c’est “dans les meilleurs délais, ceci sera fait.” Et c’est donc un ordre constitutionnel qui est simplement ignoré depuis plus de 40 ans. »
Ceci pose des problèmes, à la fois d’un côté pratique et d’un côté symbolique. Du côté pratique, en tant que pays dont les tribunaux se fient souvent sur l’autre version linguistique d’un texte de loi à des fins d’interprétation, comme pour résoudre des ambiguïtés dans une loi, tout un outil d’interprétation juridique nous est enlevé par le défaut de traduire ces textes constitutionnels en français.
Un exemple donné par le professeur Larocque est un dossier sur lequel il a lui-même travaillé, où la version anglophone d’un décret en conseil annexé à la Loi constitutionnelle de 1867 (qui n’a force de loi qu’en anglais) indiquait que les demandeurs avaient certains « legal rights », alors que la version francophone utilisait simplement l’expression « droits ».
Selon le professeur Larocque, cette différence aurait pu informer l’interprétation de la cour dans cette affaire quant à la nature et l’étendue des droits en question. Après tout, « droits » semble avoir un sens plus large que « legal rights », mais en raison du fait que la Loi constitutionnelle de 1867 n’a pas force de loi en français, la cour n’a même pas pu prendre en compte cette version du décret.
Du côté symbolique, le fait que 21 textes constitutionnels canadiens n’ont que force de loi en français est un indice clair que le français continue d’être traité comme secondaire à l’anglais au Canada. La francophonie canadienne est « une grosse tranche de la population du Canada, qu’on appelle souvent une des puissances fondatrices » et pourtant, ne se fait pas suffisamment respecter pour que le gouvernement cesse d’ignorer l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982. « [Les gouvernements fédéral et provinciaux] doivent bouger sur la question et arrêter de faire l’autruche avec la question, et finalement respecter l’article 55, » affirme le professeur Larocque.
Même à ça, malgré les difficultés, les victoires des francophones au Canada ne sont pas insignifiantes, et elles méritent d’être soulignées et célébrées. « Depuis l’adoption de la première Loi sur les langues officielles, il y a eu un progrès, » dit le professeur Larocque. « La fonction publique fédérale est plus bilingue qu’elle l’était 50 ans passés, absolument. Maintenant qu’on a un droit constitutionnel à l’école dans la langue de la minorité dans toutes les provinces et territoires du Canada, c’est un progrès indéniable. Il existe une quarantaine de conseils scolaires francophones à l’échelle du pays hors Québec, c’est fantastique. Des centaines de mille d’enfants qui, ce matin, au moment où on se parle, vont à l’école en français à l’extérieur du Québec, c’est un progrès indéniable. »
Pour ceux qui souhaitent se renseigner davantage sur le droit lié aux minorités linguistiques au Canada, telles que les francophones hors Québec, et sur le droit linguistique plus généralement, le professeur Larocque recommande la lecture des arrêts suivants de la Cour suprême du Canada :
- Le Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba et le Renvoi relatif à la sécession du Québec comme arrêts qui énoncent des principes clés sur la protection des minorités linguistiques
- L’arrêt R c Beaulac, qui reconnaît qu’il est nécessaire d’interpréter les droits linguistiques tels qu’ils paraissent dans la Constitution de la manière la plus large et libérale possible
- L’arrêt Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c Colombie-Britannique, « qui fait une bonne synthèse de 30 ans de jurisprudence et qui rappelle l’importance cruciale [du droit à l’éducation dans la langue de la minorité] »
Lisez l’entrevue complète ici.